…Le souffle c’est quelque
Chose dans l’air
Ce n’est pas de l’air
Remué
Seulement,
C’est une concrétisation
Massive dans
L’air
Et qui doit
Être sentie
Dans le corps
Comme une agglomération
En somme atomique
D’éléments
Et de membres
Qui à ce moment là
Font tableau.
Artaud, 1948
50 Drawings to Murder Magic
Le pollen de plantes et les spores fongiques se remuent dans l’air avec la poussière d’éléments et de mots que nous inspirons et participent aux textures que nous expirons à divers rythmes, intensités, vitesses et lenteurs. On ne sait jamais quand un tel mélange va envahir soudainement, prendre corps, laisser quelque chose de nouveau émerger qui perdure. Il peut s’agir de quelque chose en latence, virtuel qui s’actualise, se contracte, laisse fuir un passé dans un présent, le premier étant sous ce dernier (Bergson 2003[1888]). En anthropologie on appelle souvent ces évènements des « moments forts » ou la « sérendipité », qui nous prennent typiquement par surprise. Le « souffle du chaos » d’Artaud est une force, une présence ou un ordre qui s’élabore dans un mystère ou chaos par-delà les choses; « « une sorte de faim vitale, changeante, opaque, qui parcourt les nerfs de ses décharges, et entre en lutte avec les principes intelligents de la tête. Et ces principes, à leur tour, recherchent le souffle pulmonaire et lui confèrent tous ses pouvoirs » (Artaud 1979 : 18). Afin d’atteindre ce chaos ou ce qu’il nomme aussi le Merveilleux de la conscience, Artaud considère qu’un cactus (Peyotl), auquel il a été initié lors d’un séjour chez les Tarahumara (Rarámuri) du Nord-ouest du Mexique, peut indiquer « où il est et à la suite de quelles concrétions insolites d’un souffle ataviquement refoulé et obturé le Fantastique peut se former et renouveler dans la conscience ses phosphorescences, son poudroiement. » (Artaud 1979 : 38). Il s’agirait du souffle de toute poésie qui pousse la main à dessiner ou écrire, et le même végétal, en indiquant le bon chemin, peut diminuer les chances de tomber dans l’obscur d’une sensation qui survient.
D’après Deleuze, une sensation est une vibration, et quand elle est directement en prise sur une puissance vitale qui déborde tous les domaines et les traverse, elle peut se ressentir comme une vague qui nous traverse; une unité des sens (sens comme évènement) qui peut se ressentir comme une chute ou une élévation. Cette puissance vitale, c’est le Rythme, plus profond que la vision, l’audition, etc. [(Deleuze 2002[1981] :46). « L’unité du rythme … nous ne pouvons la chercher que là où le rythme lui-même plonge dans le chaos, dans la nuit, et où les différences de niveau sont perpétuellement brassées avec violence » (ibid. :47). Ce n’est pas que l’ordre est enveloppé par le chaos, mais le chaos lui-même, ou le pouvoir de l’affirmer qui nous arrive (Deleuze 1968). Il est irrationnel et plus puissant à cause de ça; “une vague dans l’esprit, un rythme beaucoup plus profond que les mots, que l’un doit recapturer et remettre en marche, trouver des mots qui s’y agencent » ((Woolf 1926 in Le Guin 2004: 1). Ceci peut modifier une idée bien ancrée que « Tout classement est supérieur au chaos… » (Lévi-Strauss 1962: 24), puisque cela nous amène plus proche de ce qui se passe dans l’expérience et est donc pertinent pour l’anthropologie. Au bout du compte, l’attention au quotidien que prône l’anthropologie, émerge de ce qui surgit spontanément, adhère et perdure. On se demande alors, tel que le souhaitait Deleuze, s’il n’y a pas moyen de puiser dans de tels évènements de manières plus fructueuses.
« On ne peut renoncer à l’espoir que les effets de la drogue ou de l’alcool (leurs « révélations ») pourront être revécus et récupérés pour eux-mêmes à la surface du monde, indépendamment de l’usage des substances, si les techniques d’aliénation sociale qui déterminent celui-ci sont retournées en moyens d’exploration révolutionnaires. Burroughs écrit sur ce point d’étranges pages qui témoignent de cette recherche de la grande Santé, notre manière à nous d’être pieux : ‘Songez que tout ce que l’on peut atteindre par des voies chimiques est accessible par d’autres chemins…’ Mitraillage de la surface pour transmuer le poignardement des corps, ô psychédélie. »
Deleuze, Logique du sens 1969
Par-dessus tout, nous nous intéressons à niveler le terrain des “psychédéliques” actuellement réifiés en explorant comment un souffle du chaos est accessible par d’autres chemins. On s’intéresse aussi à savoir comment les “révélations” entre guillemets sont des “révélations sans révélation” puisque la psyché n’est pas déjà là, mais ouvre vers ce qui est sur le point d’advenir. Ainsi nous souhaitons récupérer un sens de la « psyché » en provenance de l’ancien grec qui réfère à la vie, ou à son souffle, afin d’étendre cette sorte d’ode à la « psychédélie » de la manière la plus expansive possible en se rapprochant plutôt de quelque chose que l’on pourrait nommer « cosmodélie ». L’insistance de Spinoza que l’on ne sache pas ce qu’un corps peut faire, que rien n’est bon ou mauvais en soi (1994 [1849]), penser par-delà le bien et le mal (Nietzsche1987[1886]), s’attarder aux forces cosmiques dans une sorte de maîtrise de la non maîtrise (Taussig 2020), tendre vers la suspension Choy et Zee 2015), les lignes (Ingold 2015), le chaos (Grosz 2020), les sensations sonores (Laplante 2020), l’élémental (Fujikane 2021; Papadopoulos & al.’s 2021), les événements qui secouent dans l’art et le terrain (Rethmann and Wulff 2023) ou au court moment du souffle qui peut inspirer le prochain mouvement, lui donner son tempo et son intensité spécifique (Motta 2021), font tous tourner notre attention vers des manières à travers laquelle la vie prolifère de manières inattendues. Cela invite des contributions en un seul souffle, un vent, une performance, un étirement à partir d’une plante singulière, ou d’une rencontre avec un champignon, un animal, un élément ou une poussière de mots; en portant attention aux rythmes sans mesures, à ce qui surgit et perdure ou, en d’autres mots, aux potentiels de la vie à se renouveler.
Nous invitons chercheurs et artistes à s’engager de manière critique avec le souffle et le chaos comme manières privilégiées de s’intéresser à ce qui est sur le point d’advenir afin de composer des futurs envisageables.
Les contributions de diverses perspectives, incluant la recherche académique, l’écriture performative expérimentale, le dessin et le sonore en anthropologie, en philosophie et dans l’art.
Directives pour les textes
– Résumés (250-300 mots) à soumettre avant le 1er mars 2025
– Textes (5,000-7,000 mots) à soumettre avant le 1er août 2025
Directives pour les formats multimédias
–Œuvres à soumettre le
1er août 2025 (Les soumissions doivent être envoyées en
JPEG ou MP3 et inclure
un titre et les dimensions ainsi qu’une déclaration de l’artiste)
Merci de soumettre vos propositions en anglais, en français ou en espagnol à Julie.laplante@uottawa.ca et Afuenzal@uottawa.ca
Julie Laplante (julie.laplante@uottawa.ca) est professeure en anthropologie à l’Université d’Ottawa. Elle travaille dans des approches phénoménologiques en anthropologie avec des intérêts entourant la médecine autochtone et humanitaire, attentive aux habiletés corporelles, cliniques, sensorielles et sonores dans la guérison avec les plantes ou les molécules. Son terrain en Amazonie brésilienne et à deux extrêmes de l’océan Indien (Afrique du Sud, Java Indonésie) s’est plus récemment déplacé au Cameroun et sur des îles et montagnes dans les Amériques. Elle est l’autrice de Pouvoir guérir (2004), de Healing Roots (2015, 2018), co-éditrice de Search After Method. Sensing, Moving, and Imagining in Anthropological Fieldwork (2020), des numéros spéciaux Devenir-plante (2020) et Phénoménologies en anthropologie (2016) dans la revue Anthropologies et sociétés, et productrice film Jamu Stories (2015)
Ariel Fuenzalida (afuenzal@uottawa.ca) PhD est enseignant en études Classiques et religieuse et professeur adjoint en Études sur les psychédéliques et sur la conscience à l’Université d’Ottawa et professeur à contrat au Département de sociologie et d’anthropologie à l’Université Carleton. Ses intérêts d’enseignement et de recherche portent sur la théorie sociale, les biopolitiques, la sociologie de la santé et de la maladie, les études en sciences et en technologie, études critiques des drogues et la recherche sur l’assuétude.
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… ce qui compte n’est plus l’énoncé du vent, c’est le vent.
Georges Bataille ([1943] 1978).: 16
Je ne sais pas si c’est que le vent se lève, ou si un vent se lève de cette musique d’autrefois qui persiste encore aujourd’hui.
Antonin Artaud 1971:75
Artaud, A. (1979] Héliogabale ou l’anarchiste couronné. Gallimard.
Artaud, A. (1971). Les Tarahumaras. Gallimard.
Artaud, A. (1948). 50 dessins pour assassiner la magie. Gallimard.
Bataille, Georges. ([1943] 1978). L’expérience intérieure. Paris: Éditions Gallimard.
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Choy T. and Zee J. (2015). Condition-Suspension. Cultural Anthropology, 30(2), pp. 210-223
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Deleuze G. (1969). Logique du sens. Les éditions de minuit.
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Motta, Marco 2021 The Signal Gait of the Human. A contrario. 1(31): 165-186.
Papadopoulos, Dimitris, Maria Puig de la Bellacasa and Natasha Myers (ed.) 2021 Reactivating Elements. Chemistry, Ecology, Practice. Duke University Press.
Rethmann, P. and H. Wulff, 2023 Exceptional Experiences. Engaging with Jolting Events in Art and Fieldwork. Berghahn: New York and Oxford.
Spinoza, B. (2002 [1849]). L’Éthique. Palimpsestes.fr. http://palimpsestes.fr/textes_philo/spinoza/ethique.pdf
Taussig M. (2020). Mastery of Non-Mastery in the Age of Meltdown. The University of Chicago Press.
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